Dans le contexte du vieillissement et de la croissance de la population, les médecins de famille devront apprendre à composer avec la complexité de la détermination de la capacité mentale d’un patient lors de litiges juridiques1. Cette situation est due au transfert sans précédent de la richesse d’une population âgée, aux prises avec des troubles cognitifs et de santé mentale, vers une jeune génération à la structure familiale complexe et soumise à un grand stress financier2. Il en découlera inévitablement un plus grand nombre de problèmes liés aux testaments, aux procurations, aux dons et à tout autre acte de succession. Par conséquent, de plus en plus de demandes seront émises par des avocats pour obtenir un avis médical sur la capacité mentale des patients. Cette tâche est liée, bien qu’elle en soit distincte, à la responsabilité universelle de tous les médecins d’évaluer, au besoin, la capacité de leur patient à consentir à un traitement.
Nous présentons ici six éléments clés dont les médecins de famille devraient tenir compte lorsqu’ils sont appelés à traiter des questions de capacité mentale qui relèvent du domaine juridique, telles que les décisions liées à la succession, et dont le règlement peut bénéficier de l’avis médical.
Considérations clés à prendre en compte dans l’évaluation de la capacité mentaleLa capacité mentale est fonction de 2 composantes fondamentales. La première composante concerne la capacité mentale de comprendre les faits pertinents. La deuxième composante est l’évaluation des conséquences raisonnablement prévisibles de la prise de décision ou de son omission. Les patients doivent communiquer librement et de manière cohérente leurs décisions et leurs motifs. La prise en compte de ces composantes est particulièrement importante lorsqu’il y a un changement significatif par rapport aux processus décisionnels habituels, par exemple dans l’exécution d’un testament ou la désignation d’un mandataire.
Les capacités sont spécifiques à la décision ou la tâche, à la situation et au moment. Les questions que soumettent les avocats aux médecins concernant la capacité se soldent souvent par des avis juridiques succincts et généraux. Toutefois, les médecins doivent éviter de faire des déclarations générales ou déterminantes sur la capacité, telles que : « cette personne a la capacité de prendre des décisions juridiques et financières ». Les capacités ne peuvent pas être évaluées globalement. Une personne peut être apte dans certains domaines et inapte dans d’autres. Des facteurs propres à chaque situation, notamment la complexité et la nature conflictuelle de l’environnement de la personne, influent sur le seuil de capacité. Plus la situation est complexe et conflictuelle, plus il est nécessaire de disposer des capacités cognitives permettant de démêler les revendications concurrentes et atteindre la capacité seuil requise. La question que le médecin doit toujours se poser est la suivante : « Cette personne est-elle capable de prendre une décision spécifique ou d’accomplir une tâche précise dans une situation ou un environnement en particulier et à un moment donné? »
La capacité ne peut être établie simplement à partir du résultat à un test cognitif ou d’un diagnostic. Un diagnostic officiel, même de démence ou d’un autre trouble cognitif, n’est pas synonyme d’incapacité. De même, les résultats aux habituels tests de dépistage cognitifs formels, notamment l’évaluation cognitive de Montréal3, ne sont pas un indicateur de la capacité. Ils offrent seulement une mesure ponctuelle du niveau général de la fonction cognitive d’une personne, pouvant servir à faire le suivi de la trajectoire cognitive au fil du temps. Les cliniciens doivent garder à l’esprit que le comportement social peut masquer une déficience cognitive et qu’un examen approfondi est nécessaire. Une déficience cognitive peut passer inaperçue si aucun test cognitif formel n’est réalisé ou si l’on ne pose pas de questions aux proches de la personne. Ultimement, la capacité d’une personne dépend de la mesure dans laquelle elle répond à des critères juridiques précis, sans égard à tout diagnostic qu’elle a reçu ou à ses résultats à un test de performance.
Cependant, l’utilisation d’outils décisionnels structurés, tels que l’outil d’évaluation en temps réel (Contemporaneous Assessment Instrument)4, a été préconisée pour faciliter l’évaluation des capacités. La validité de cet outil est à première vue fondée, mais ce dernier n’a pas encore été repris dans des essais randomisés. L’évaluation de la capacité continue de reposer sur un examen clinique individuel.
Il y a une distinction entre un avis clinique et un critère juridique visant une capacité spécifique. À l’exception de la capacité de consentir à un traitement, y compris l’aide médicale à mourir, la plupart des capacités sont définies par des critères juridiques et relèvent en dernier ressort d’une décision judiciaire. Or, la capacité mentale est liée aux fonctions cognitives et cérébrales exécutives pouvant être affectées par des symptômes psychiatriques tels que les idées délirantes, et par des syndromes tels que la démence et le delirium5. Ainsi, l’évaluation de la capacité nécessite une collaboration médico-légale où les renseignements fournis par les cliniciens ou les experts sont sollicités sous la forme d’un « avis ». Cependant, cet avis ne constitue pas un conseil juridique, et le tribunal est souvent contraint d’évaluer des avis cliniques divergents.
Par ailleurs, les médecins peuvent simplement fournir au tribunal une description de la nature et de la gravité de tout trouble cognitif, neurologique ou psychiatrique susceptible d’avoir une incidence sur le critère juridique pour une capacité donnée. Lorsqu’un avocat demande l’avis clinique d’un médecin, il devrait également fournir des indications sur le critère juridique qui s’applique. Ce critère peut concerner la jurisprudence, comme dans le cas de la capacité à rédiger un testament, à faire un don ou à se marier; ou encore des lois réglementaires, lesquelles englobent la capacité de gérer des biens ou des soins personnels et de révoquer ou d’accorder des procurations. Ces lois peuvent varier selon l’autorité compétente locale, et les médecins devraient connaître les lignes directrices de leur province.
Lorsqu’il s’agit d’influence indue, seule la vulnérabilité d’un patient à l’influence devrait être évaluée par le médecin2. La contestation de la capacité mentale s’accompagne souvent d’une allégation d’influence indue, un concept juridique concernant la manipulation de la volonté d’une personne par une autre6. L’influence indue est une forme d’abus financier lorsqu’elle est exercée sur des personnes vulnérables. Historiquement, l’influence indue était associée à la coercition, mais la manipulation de la volonté est un concept plus approprié. Il est désormais bien établi qu’il ne serait pas nécessaire de recourir à la coercition ou à une forte pression pour franchir le seuil théorique de l’influence indue envers une personne présentant une vulnérabilité accrue pouvant se manifester par une déficience cognitive ou une instabilité émotionnelle, telle que déterminée par un juge. Le médecin est principalement tenu d’évaluer la vulnérabilité du patient à subir une influence, mais pas de déterminer si une influence est exercée ou non. Cette distinction est essentielle, car c’est au tribunal, en tant que juge des faits, et non au médecin, qu’il appartient de déterminer la présence d’une influence.
Il faut tenir compte de tous les signes cliniques préoccupants lorsqu’il est question de capacité. La présomption de capacité est levée en cas de circonstances douteuses ou de signes préoccupants. Les facteurs suivants devraient soulever des inquiétudes face à la capacité : un changement important par rapport à un comportement antérieur ou à des souhaits exprimés, particulièrement chez les personnes âgées, qui présentent la prévalence de troubles cognitifs la plus élevée (l’âge seul ne doit pas être associé à une incapacité); des décisions en fin de vie7; un diagnostic concomitant de troubles psychiatriques ou cognitifs8; et la polypharmacie jumelée à un état de fragilité.
Orientation futureLa formation des médecins sur l’évaluation de la capacité mentale n’est pas suffisante. Compte tenu des défis croissants à ce chapitre, il est important d’améliorer la formation médicale sur l’évaluation des capacités, à tous les niveaux.
Dans le cadre du premier cycle universitaire, l’intégration d’une formation sur les compétences cliniques et d’un apprentissage par cas portant sur les capacités courantes offrirait aux étudiants de précieuses occasions de participer à des évaluations de capacités en temps réel et de formuler des avis cliniques. Au niveau des études supérieures, il conviendrait de cibler les disciplines pertinentes, telles que la médecine familiale et communautaire, la psychiatrie, la neurologie et la gériatrie, et d’intégrer l’évaluation des capacités à l’enseignement axé sur les compétences9. Les problématiques liées à la capacité mettent en évidence l’importance d’une compréhension nuancée et d’une solide collaboration entre médecins et juristes. Les capacités sont fonction des décisions et des situations, et les déclarations générales et déterminantes à leur sujet ne sont pas utiles. Afin de veiller à ce que les évaluations soient à la fois médicalement fondées et juridiquement défendables, les médecins de famille doivent comprendre les éléments essentiels de la capacité mentale et en tenir compte dans tout avis qu’ils formulent à des fins juridiques.
ConclusionIl est essentiel de comprendre la notion de capacité pour faire en sorte que les droits relatifs à la dignité et à la protection contre l’abus financier soient respectés. Cette compréhension favorise l’équilibre entre le maintien de l’autonomie des personnes aptes à prendre des décisions et la protection de celles qui en sont incapables9.
FootnotesIntérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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