Consulter les actualisations des guides de pratique clinique dans les diverses spécialités médicales est une tâche fondamentale pour une pratique familiale complète et globale. Cet article, le dernier d’une série de 3, fait la synthèse des changements aux lignes directrices de 2024 s’appliquant aux soins primaires, et met l’accent sur les mises à jour récentes concernant la neurologie, l’orthopédie, la pneumologie, la néphrologie et la gériatrie.
L’American Headache Society recommande des thérapies ciblant le peptide relié au gène de la calcitonine (PRGC) (anticorps monoclonaux ou gépants) comme option de première intention pour la prévention de la migraine au même titre que les autres options reconnues (aucun niveau de données probantes indiqué)1. Même si d’autres solutions de première intention comme certains antihypertenseurs, anticonvulsivants et antidépresseurs demeurent acceptables, les thérapies ciblant le PRGC sont mieux tolérées et respectées. Dans certaines études, il a été démontré que les thérapies ciblant le PRGC étaient supérieures aux traitements plus anciens comme le topiramate. De plus, les gépants peuvent aussi être utilisés pour traiter la migraine aiguë chez les personnes qui ne tolèrent pas les triptans2,3.
L’American Academy of Orthopaedic Surgeons recommande l’outil d’évaluation clinique du syndrome du canal carpien en 6 éléments (SCC-6) comme option diagnostique de rechange valide du syndrome du canal carpien (recommandation forte, données probantes de grande qualité)4. Le score au SCC-6 (maximum de 26 points) est déterminé par un engourdissement, principalement dans la région innervée par le nerf médian, des symptômes nocturnes, la présence d’une atrophie de l’éminence thénar, un test de Phalen positif, un signe de Tinel positif et une perte de discrimination de 2 points5. Le SCC-6 produit une forte corrélation diagnostique avec une électromyographie (EMG) (r=0,9), ce qui justifie son utilisation dans le diagnostic clinique, réservant l’EMG aux cas où la probabilité préalable aux tests est faible, ou dans l’incertitude. En outre, des données probantes convaincantes indiquent que des injections de corticostéroïdes ou de plasma riche en plaquettes (PRP) ne procurent pas de bienfaits à long terme. Le port systématique d’une attelle et la physiothérapie supervisée après la décompression du canal carpien n’améliorent pas les résultats.
La Global Initiative for Asthma (GINA) recommande que tous les patients souffrant d’asthme, y compris ceux dont les symptômes sont peu fréquents, reçoivent des corticostéroïdes inhalés (CSI) pour réduire le risque d’exacerbations (données probantes de grade A ou B, selon la gravité des symptômes)6. Cette recommandation remplace celles qui acceptaient antérieurement une monothérapie par β-agonistes à courte durée d’action (BACA) pour les patients ayant des symptômes moins de 2 fois par mois et sans facteurs de risque. Pour les adolescents et les adultes, le traitement de première intention à privilégier demeure une combinaison à faible dose de CSI et de formotérol, utilisée soit au besoin ou comme thérapie d’entretien et de soulagement, selon le fardeau des symptômes et le risque de complications. Pour les enfants de 6 à 11 ans ou pour les patients incapables de se servir d’un inhalateur de CSI-formotérol, la GINA recommande de prendre un CSI chaque fois qu’un BACA est utilisé, que ce soit sous forme d’un inhalateur individuel ou combiné. Cette approche assure que les patients souffrant d’un asthme léger reçoivent un traitement anti-inflammatoire, parce que les posologies comportant seulement un BACA ne sont plus considérées comme sécuritaires en raison d’un risque accru d’exacerbation sévère, d’hospitalisation et de décès dû à l’asthme. En outre, lorsque la spirométrie n’est pas accessible, le débit expiratoire de pointe est maintenant préféré à la seule évaluation des symptômes – comme la présence d’une sibilance – pour confirmer l’asthme, étant donné la spécificité limitée des symptômes à eux seuls.
Les Recommandations KDIGI (Kidney Disease: Improving Global Outcomes) de bonnes pratiques cliniques de 2024 préconisent d’utiliser le taux de filtration glomérulaire estimé basé sur la créatinine et la cystatine C combinées (TFGe-cr-cys) au lieu du TFGE-cr seul, lorsque le dosage de la cystatine C est accessible (données probantes de niveau 1B)7. La combinaison de la créatinine et de la cystatine C accroît l’exactitude de l’analyse et renforce la prédiction des risques, ce qui devient particulièrement utile lorsque les estimations basées sur la créatinine sont incertaines. Cette approche est bénéfique chez les patients dont la masse musculaire est altérée (p. ex. les personnes plus âgées, en état de malnutrition ou dont la composition corporelle est extrême), qui sont atteints de maladies chroniques ou qui ont des problèmes qui affectent la production de créatinine (p. ex. cirrhose, paraplégie). Dans les cas de diagnostics incertains, l’obtention du TFGe-cr-cys ou du TFGe-cys aide à réduire le risque d’une mauvaise classification, en particulier dans les cas de TFGe limite (45 à 60 mL/min/1,73 m²), et elle permet un diagnostic, une stadification et des décisions thérapeutiques plus précis.
Les bonnes pratiques cliniques KDIGI de 2024 indiquent qu’il est souvent possible de prendre en charge l’hyperkaliémie au moyen de stratégies d’abaissement du potassium, permettant la poursuite d’une thérapie par inhibiteurs du système rénine-angiotensine (iSRA) sans réduire la dose ou arrêter le traitement (aucun niveau de données probantes indiqué)7. Les mesures initiales incluent une restriction du potassium alimentaire et une revue des médicaments pour cerner les agents contributeurs (p. ex. anti-inflammatoires non stéroïdiens, triméthoprime). En deuxième lieu, les options comportent les diurétiques, le bicarbonate de sodium et les liants du potassium (p. ex. patiromer, cyclosilicate de sodium et de zirconium). Il faudrait réserver la discontinuation des iSRA ou des antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes aux cas où l’hyperkaliémie persiste en dépit d’une prise en charge optimale. La surveillance régulière du potassium (de 2 à 4 semaines après l’amorce d’un iSRA ou un ajustement de dose) assure la poursuite sécuritaire et efficace du traitement.
Les bonnes pratiques cliniques KDIGO de 2024 recommandent maintenant les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (ISGLT2) pour les adultes atteints d’une maladie rénale chronique (MRC) (TFGe de 20 à 45 mL/min/1,73 m²) et ayant une faible albuminurie (rapport albumine/créatinine <20 mg/mmol) (données probantes de niveau B2)7. Alors que les avantages d’une albuminurie élevée dans le cas d’une MRC sont bien établis, des études comme l’essai EMPA-KIDNEY (Study of Heart and Kidney Protection With Empagliflozin) font valoir que les ISGLT2 ralentissent la progression de la maladie, réduisent le risque de lésion rénale aiguë et diminuent les taux d’hospitalisation dans les cas de MRC avec faible albuminurie. Les bienfaits à long terme demeurent incertains en raison de la courte durée des suivis après l’essai, mais certaines analyses suggèrent un retardement de l’insuffisance rénale et de l’amorce de la dialyse. Parmi les autres bienfaits, on peut mentionner une réduction de la pression artérielle, un meilleur équilibre liquidien, des taux d’acide urique plus bas et la prévention de l’hyperkaliémie.
La Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées recommande l’aripiprazole, le brexpiprazole ou le rispéridone pour le traitement de l’agitation sévère dans les cas de démence (recommandation conditionnelle, données probantes de qualité modérée)8. Si un patient prend déjà un inhibiteur de la cholinestérase ou de la mémantine, ces médicaments peuvent être optimisés (recommandation conditionnelle, données probantes de très faible qualité). Chez les patients incapables de tolérer les antipsychotiques, le citalopram peut être envisagé. Le guide de pratique clinique ne recommande pas la trazodone, la sertraline, la mirtazapine, la fluoxétine, la paroxétine, la fluvoxamine, les antidépresseurs tricycliques ou l’acide valproïque en raison d’un manque d’efficacité et d’inquiétudes quant à la sécurité. Pour les symptômes réfractaires, la quétiapine, la carbamazépine, ou les cannabinoïdes synthétiques peuvent être envisagés, quoique les données probantes soient limitées. L’olanzapine est réservée aux traitements d’urgence de courte durée. Parmi les options non pharmacologiques se trouvent la thérapie par la musique, l’exercice, les massages et les animaux de compagnie robotisés.
La Commission permanente sur la prévention, les interventions et les soins liés à la démence du Lancet a ajouté 2 nouveaux facteurs de risque modifiables, soit la perte de vision non traitée et le taux élevé de cholestérol à lipoprotéines de faible densité, à la liste des facteurs associés à la démence (aucun niveau de données probantes indiqué)9. Cet ajout porte le nombre total des facteurs de risque modifiables à 14 et s’inscrit avec d’autres facteurs reconnus, comme la perte de l’ouïe, l’hypertension, la dépression, la faible instruction, l’isolement social et la pollution de l’air. Selon les estimations, le taux de la population touchée par ces 14 facteurs serait d’environ 45 %, ce qui signifierait qu’en corrigeant ces facteurs, on pourrait prévenir près de la moitié de tous les cas de démence. La prévention peut bénéficier à tous les patients, même à ceux qui sont porteurs de facteurs de risque génétiques (comme le statut génétique APOE).
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